DE LA PEINTURE


Prêter son corps à l’acte de peindre. Oublier tête, bras, pieds, n’être plus qu’un corps peignant.
Plaisir physique à sentir l’épaisseur de la peinture : étaler, glisser, recouvrir, entourer, répéter. Du geste et non du sens.
D’abord un grand format. Blanc et résistant. Du bois de préférence. Des peintures acryliques et des outils du bâtiment, simples et solides, qui encouragent la maladresse. Ensuite c’est l’histoire d’un moment. Couleurs préparées à disposition, en pots. Les poser une par une, remplir toute la surface. Je ne prévois rien. Pas de croquis préparatoire, pas de vision ou d’intention. Je cherche avant tout à me perdre dans la surface de la peinture.
Je travaille par assemblage. Juxtaposition, ajout et soustraction. J’attends de saisir une ambiance, une atmosphère. Et il y a la musique, matière sonore indissociable de mon processus créatif. Je suis avant tout une coloriste. Bien plus que le dire de la peinture, ce sont les relations (bonnes et mauvaises) des couleurs entre elles qui m’intéressent. Figuration ou abstraction, ce n’est pas un sujet pour moi, je n’ai pas à choisir.
Je peins des paysages. Ciel, végétaux, visages, signes, aplats colorés sont autant d’éléments d’un même paysage.
Je ne connais pas les personnages dont j’emprunte les visages. Ce sont des images. Je les reconnais ensuite souvent, dans le face à face. Peindre est une manière de me souvenir ou de ne pas oublier.
Je n’aime pas les masques, ni les déguisements. Au contraire. Je les en dépouille pour ne conserver que ce qu’il reste de nous. Œil, nez, bouche, oreille, comme des cailloux dans le paysage.
J’aime à rencontrer l’étrange, le frottement, le mal aimable, la sauvagerie. Je cherche à supprimer le séduisant, le confortable. J’aime l’idée de la tension dans l’œil du regardeur, qu’il reste sur ses gardes.
Je ne cherche pas à délivrer un message. Mes peintures n’ont pas de titre. J’aime introduire du doute. Pas d’espace, de temps, pas d’expression ou de genre définis. Pas de perspective ou de réalité d’échelle. La peinture comme surface de projections pour celui qui la regarde.
Peindre me prend du temps. L’image finale contient toutes celles qu’il y a derrière. Je ne cesse de défaire, de refaire. Tout bousculer pour aller plus loin. C’est un mélange d’excitation et de vertige. Au bord du vide. Jouer à se faire peur, entre volonté et abandon. Rencontrer quelque chose que j’ignore dans l’épuisement du geste. Après il est possible de s’arrêter.